Penser / Noter

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Transcrire un langage des signes : qu’est-ce que cela implique ?
Il faut réussir à fixer un geste, un mouvement, une spatialité, une intention et un sens.
Comment y parvenir ?
Quelle forme donner à cette tentative ?
Ce projet que je m’apprête à mener soulève de nombreuses questions.
Il s’agit d’un projet de recherche.
Je ne suis pas sûre de pouvoir trouver toutes les réponses d’ici la fin de l’année.
Mais cela ne m’effraie pas, au contraire.
La recherche par le faire et l’observation.
Voilà ce qui m’intéresse.
Explorer des pistes de développement, des formes, des possibilités.
Découvrir des notions, des signes-mots.
M’immerger dans ce monde.

Note du 21.09.21

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Connaissez-vous le Soundpainting ?

Il s’agit d’un langage de signes, universel et multidisciplinaire qui permet de composer en temps réel avec des musiciens, des danseurs, des acteurs, des chanteurs mais aussi des artistes visuels. Il a été créé par le musicien Walter Thompson en 1974 aux États-Unis, dans le cadre de concerts free-jazz à Woodstock et comporte aujourd’hui plus 1 500 signes. Pour comprendre de manière concrète comment ce langage fonctionne, imaginez-vous un chef d’orchestre : nommez-le Soundpainter. Placé de face, il crée en temps réel une pièce — mi-orchestrale, mi-théâtrale — complètement improvisée en dirigeant les participant.e.s à l’aide de signes gestuels. Pas un mot ne sort de sa bouche, tout est signifié par le mouvement. Malgré le fait qu’il approche la cinquantaine d’années, le Soundpainting reste assez méconnu du grand public. Cette méconnaissance est liée à mon sens au manque de moyens et, plus spécifiquement, de moyens de communication : à l’heure actuelle, il n’existe que quelques ouvrages papiers entièrement conçus par Thompson, avec l’aide de quelques SoundPainters certifiés et ces ouvrages manquent de clarté et de pédagogie. [01]

Ce constat, il m’a été permis de le faire en 2019 : en parallèle de mes études de design graphique, je pratique la guitare électrique au sein d’un groupe multigénérationnel et c’est dans ce contexte que j’ai découvert cette discipline.

Ainsi, pour ma dernière année de DN MADe au sein de l’école Duperré, je souhaitais que mon diplôme réponde à deux critères bien précis : d’une part, qu’il s’inscrive dans un contexte qui me touche personnellement — en l’occurence, le Soundpainting — et d’autre part, qu’il s’inscrive dans une démarche didactique, compte tenu du fait que je suis très sensible aux enjeux de transmission par le design.

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Penser / Noter

Voici donc l’appellation de mon projet de diplôme, véritable catalyseur de l’ensemble des recherches que j’ai pu mener cette année. Ce titre est un hommage à l’ouvrage Penser / Classer de Georges Perec, hommage pensé non pas comme une simple pastiche mais comme un écho à sa démarche.

En 2019, lors de ma découverte du Soundpainting et sous les conseils de mon professeur de guitare William Billman, j’ai cherché à développer des formes illustrées de ces signes, pour aller à l’encontre des photographies présentes dans les ouvrages officiels. Ma volonté était de créer des signes attractifs à l’œil, ludiques et pédagogiques. Après quelques tentatives peu concluantes, et une pause marquée par le passage du Covid, ce n’est véritablement qu’en 2021 que mon projet a commencé à se concrétiser, lorsque j’ai pris la décision de contacter François Cotinaud, un Soundpainter certifié. Dès lors, nous avons commencé à travailler main dans la main : entre septembre 2021 et juin 2022, j’ai assisté à ses cours en tant qu’observatrice et, munie de mon carnet de croquis, j’ai collecté la matière première de mon projet. De semaine en semaine, j’ai cherché à capter dans l’immédiat les gestes effectués devant moi, à destination des performeur.se.s. [02]

En faisant le choix de travailler dans l’instant présent, je me suis laissée la possibilité de me détacher, d’une part, de mes anciennes recherches, et d’autre part, d’une forme de réalisme dans l’anatomie. Cette immédiateté m’a donné l’opportunité de me faire ma propre idée du langage, mais surtout de travailler de manière très intuitive : n’ayant pas assez de temps pour réfléchir ou penser une forme à l’avance, j’ai fini par faire naître malgré moi un personnage, véritable petit bout de vide dont la consistance et la prestance reposent sur un presque rien. Mon projet a ainsi consisté à consigner les signes de ce langage pour développer par la suite des formes pictographiques, avec comme ambition de les intégrer au dictionnaire officiel, en cours de développement aujourd’hui.

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Objets papiers, objets gravés

Après avoir collecté sur le vif plus de 300 signes entre septembre et janvier puis, après les avoir retravaillé et fait corriger par François [03], j’ai commencé à uniformiser le tout en optant pour un dessin pictographique : ce choix s’explique par le fait qu’un pictogramme se doit d’être le plus simple et épuré possible afin de permettre sa lisibilité et sa compréhension, ce que j’ai cherché à faire. [04 – 05]

Le déploiement de mon système peut être divisé en deux catégories : la première relève du design éditorial, et la seconde du design d’objet.

Pour compiler l’ensemble des pictogrammes sur lesquels j’ai travaillé, il m’a semblé pertinent de développer ma propre forme éditoriale puisque l’ensemble de mon projet repose sur le constat de la fragilité des ouvrages de Thompson. J’ai donc réalisé un nuancier de 200 pages pensé comme un dictionnaire de poche. [06] Le résultat final repose sur un travail colossal de collecte de texte mais aussi de catégorisation : en Soundpainting, il existe différentes catégories (à savoir, Qui, Quoi, Comment, Quand, qui permettent de structurer une phrase) et pour saisir immédiatement par le regard la catégorie auquel un signe appartient, j’ai fait le choisi de prendre une couleur de papier différente pour chacune d’entre elle. [07] Par ailleurs, j’ai souhaité donner une place prépondérante aux éléments visuels de cet ouvrage, en séparant très distinctement les signes de leur description : les dessins sont placés au recto et les textes au verso — permettant une lecture de l’intuitif vers le discursif. [08]

En étant à l’écoute des performeurs.se.s, je me suis progressivement aperçue qu’une forme éditoriale n’était pas suffisante : dans le cadre de l’apprentissage du Soundpainting, tout se joue dans l’instant et il n’existe pas ou peu de temps dédié à une prise de notes complète et qualitative. J’ai donc décidé de développer 4 objets différents, pouvant s’inscrire dans un kit de révision. [09] Le premier est un pantin articulé gravé et découpé sur du carton gris, puis assemblé avec des vis Chicago. Il permet de donner une mobilité et une interactivité à ce personnage que j’évoquais plus tôt, mais plus encore, il permet de recréer des signes vus pendant les cours, afin de prendre des photographies. Pour cela, il existe différents jeux de mains interchangeables à souhait, selon les besoins. [10] Pour palier aux limites de sa mobilité qui reste relativement bi-dimensionnelle, j’ai imprimé et découpé des planches de stickers qui jouent un rôle similaire — à savoir, récréer les signes vus en cours — tout en permettant de palier aux limites de structure, puisqu’il est possible de les disposer librement. [11] Les stickers constituant une ressource épuisable, j’ai à nouveau déployer ce système de signes sous la forme de tampons, à partir de gomme à graver et de bois. [12] Pour m’assurer des bonnes conditions d’utilisation de ces objets, j’ai pensé et façonné un support papier faisant appel à une grille, pour permettre à qui le souhaite de constituer son propre registre.

Pouvoir garder une trace et palier au fait de ne pas savoir dessiner étaient donc les deux objectifs principaux de ces objets. [13]

Le dernier objet créé est un jeu de dominos. J’ai cherché à penser une forme ludique, qui permettrait d’apprendre la syntaxe de ce langage ou du moins, de pouvoir apprendre à créer des phrases types en m’appuyant sur la logique stricte du domino, qui ne peut s’assembler qu’avec une forme similaire. La notion d’accident et d’aléatoire dans les jetons piochés me semblait assez proche de celle que l’on peut retrouver lors des improvisations menées pendant les cours de SoundPainting. [14] Ce kit de révision fait écho à la notion de transmission, notion au cœur de ma démarche : dans le domaine du design il me semble primordial de permettre à son vocabulaire de formes de gagner en autonomie, afin que quiconque puisse se l’approprier, comme d’un outil.

En définitive, ce projet ayant pris une place extrêmement importante dans ma vie cette année, il m’a semblé plus qu’important de documenter cette grande aventure, en compilant l’ensemble de mes échanges, de mes rencontres mais aussi de mes questionnements et de mes recherches sous la forme d’un journal de bord. Cette archive documentée constitue une manière de médiatiser l’immense travail logistique et de réflexion qui s’est déroulé en amont de ces productions finales. [15]

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Merci pour votre lecture !

Marine Monseux
marine.monseux@gmail.com

Diplômée de l’École Duperré — Juin 2022

Niveau du diplôme : DN MADe

Site Internet : http://hautlamain.fr